Photo de une : 2 logements sociaux construits pour le Toit Vosgien à Plainfaing en 2018, conçus par ASP Architecture, Antoine Pagnoux et Terranergie. Le coût de la construction a été de1 749 € HT/m2 SHAB avec des charges de l’ordre de 150 €/an. Un chiffre à comparer à 2 262 €/m² SU TTC à Gerbepal (2010) et 2 365 €/m² TTC SU à Ramonchamp (2014), deux autres projets comparables du Toit Vosgien.
Les prix de l’énergie flambent depuis quelques mois. Le bouclier tarifaire a certes réduit l’impact de ces hausses pour nombre de ménages mais cette situation ne durera peut-être pas.
Par Philippe Outrequin, La Calade, auteur d’ouvrages sur les bâtiments passifs, extrait du hors-série n°24
Les artisans, les commerçants, les entreprises par contre souffrent avec des hausses particulièrement injustes, dues à la hausse du prix du gaz mais aussi des règles iniques du marché européen de l’électricité et du dispositif de l’Arenh (qui contraint EDF à vendre à perte de l’électricité à des fournisseurs qui vendent leur électricité au prix du marché…). Ces éléments devraient jouer en faveur du passif qui a un objectif global de réduction des consommations d’énergie à 120 kWhep/m².an soit 52 kWh/m².an en énergie finale pour un usage tout électrique (hors process type four de boulanger, chambre frigorifique…).
Les prix des matières premières et des fournitures (bois, tuiles, briques, isolants, plâtre) augmentent (plus de 30 % sur de nombreux matériaux), ce qui évidemment augmente les coûts de construction. En même temps, les délais d’approvisionnement s’allongent pour certains matériaux tels que l’aluminium. Ces éléments jouent évidemment en défaveur du passif. Qu’en est-il alors pour le marché du passif ?
Des coûts de construction en hausse dans le résidentiel
Les coûts de construction du passif semblent avoir augmenté au même rythme que les autres types de construction. Mais le résultat pour les bâtiments résidentiels est une augmentation de 20 % depuis 2019, confirmée par plusieurs professionnels : le prix actuel d’une maison passive est de l’ordre de 2 400 € à 2 500 € TTC par m², voire davantage selon l’emplacement, la compacité et les finitions. Deux bailleurs sociaux ont estimé la hausse de leur coût de construction pour le passif à 20 % entre 2017 et 2022.
Par exemple, Archipel Habitat a mis en chantier un immeuble de 22 logements à Acigné, « le Solax », qui sera livré en 2024 pour un coût travaux marchés de 2 042 € HT/m² alors que l’immeuble de 26 logements « La Levantine » situé à Mordelles livré en 2016 avait coûté 1 709 € HT/m², soit une différence de 19,5 %.
Le cas de la maison individuelle
Une conjoncture complexe
En maison individuelle, les professionnels estiment que le marché de la construction neuve passive est aujourd’hui très difficile. Tout d’abord parce que le marché de la maison individuelle est au plus bas, que le foncier est une denrée rare, que les taux d’intérêt remontent et que chaque euro compte.
L’accès au foncier est présenté comme un obstacle de plus en plus important. La demande d’information sur le passif est toujours très active, mais faute de terrain, les acquéreurs potentiels de maison passive se tournent vers la rénovation, celle-ci pouvant être très performante, voire passive (le niveau EnerPHit reste difficile à atteindre pour des raisons techniques ou le plus souvent économiques).
Qui favorise la rénovation…
Les propriétaires de maisons anciennes ou les acquéreurs voient évidemment l’intérêt de la rénovation passive qui permet de valoriser tout le gisement d’efficacité énergétique et d’apporter de la qualité au logement. Passif et qualité sont synonymes. De nombreux acteurs du passif se tournent aujourd’hui vers ce marché de la rénovation poussé par la perspective de hausse des prix de l’énergie.
La RE 2020 est relativement plus exigeante pour les maisons individuelles. De ce fait le surcoût entre le passif et la réglementation tend à se réduire. On l’estime à environ 5 % (Selon la FFB, le surcoût de la RE 2020 par rapport à la RT 2012 est de 5 à 10 %).
Le frein règlementaire
La RE 2020 pousse à l’isolation thermique par l’extérieur. En zone plutôt montagneuse, le triple vitrage devient une exigence. Pour passer au passif, le traitement de l’étanchéité et des ponts thermiques ne pose pas de problème. Des économies sont possibles sur le système de chauffage, le passif n’exigeant pas un système du type PAC double service dont le coût est élevé.
Le problème est l’acceptation d’une ventilation double flux. Celle-ci ne représente que 4 % du marché de la maison individuelle contre plus de 80 % en Allemagne et en Scandinavie. Le surcoût d’une ventilation double flux n’est pas très important : 6 000 € pour une double flux (DF) contre 2 000 € pour une simple flux pour une maison de 120 m². Rappelons aussi que le calcul du Bbio ne valorise pas la VMC DF puisque le rendement retenu n’est que de 50 %. Le cep n’est pas non plus favorable (avec le calcul en énergie primaire).
Des compromis…
Pour maintenir le marché passif, certains maîtres d’ouvrage renoncent aux matériaux biosourcés, d’autres s’interrogent sur la surface habitable dont ils ont vraiment besoin (et envisagent la possibilité d’un agrandissement ultérieur). Ceci est aussi vrai dans le tertiaire avec de nouvelles façon de travailler qui vont réduire les besoins de surface (par exemple les bureaux de la CARSAT à Orléans ont adopté une nouvelle typologie réduisant le besoin de surface de plus de 10 %).
Et pourtant… les maisons passives plaisent !
Suite à la hausse des prix de l’énergie, les habitants des maisons passives ont témoigné, lors des dernières journées portes ouvertes, de leur chance d’avoir fait construire en passif avant la hausse de prix de l’énergie et des matériaux. Les retours sont toujours très positifs tant au niveau du confort que de la consommation d’énergie (enquête de Vincent Delsinne auprès de ses clients, voir hors-série n°24).
Dans les enquêtes récentes, les hausses du prix de l’énergie impactant moins les habitants des logements passifs, ceux-ci apprécient surtout le confort apporté par ces logements davantage que le bouclier tarifaire que le passif représente.
Rappelons que dans le logement social la facture du chauffage et de l’ECS dans un T3 est de l’ordre de 350 € par an pour un appartement passif contre 800 € avec la RT 2012. Le bâtiment passif de la Levantine à Mordelles a des dépenses de chauffage seul de l’ordre de 12 € par mois pour un T3 contre 25 à 30 € pour un T3 conventionnel au gaz.
Les hausses des prix de l’énergie ne feront que confirmer ces différences. Une hausse de 30 % augmente la facture de chauffage et ECS de 100 € pour un logement passif et de 250 € pour un logement RT 2012…